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“Une prise de conscience politique” : Albane

Dans le cadre de leurs études, Albane et trois de ses camarades ont organisé une chorale pour des demandeurs d'asile. Albane a ensuite continué à animer cette chorale dont elle est devenue chef de chœur.

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A « Mines ParisTech », l'école d'ingénieurs des Mines de Paris, on appelle « Acte d'entreprendre »® un projet que chaque élève doit mener en équipe sur une durée d’un ou de deux ans. Lancement d’un satellite, création de produit ou de logiciel, création de fours économes pour le Burkina Faso, raid, organisation d'une collecte de piles usagées dans un collège, etc. Les élèves ont carte blanche pour choisir le secteur et la nature de l’action. Certains projets sociétaux sont accompagnés par France Bénévolat.

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Apprendre le français en chantant

En 2015, il a été beaucoup question de la crise ou du pic migratoire dans la presse et beaucoup de jeunes ont eu envie de s'engager sur ce terrain. Cela a été le cas d'Albane, qui avait alors 19 ans, et de trois de ses camarades quand ils ont eu à choisir leur Acte d'entreprendre. Ils n'avaient pas d'idée précise : Anne-Marie Thierry et André Sobel, de France Bénévolat, les ont mis en contact avec Marysia Khalessi, présidente d'honneur de Français Langue d'Accueil (FLA), une association qui propose aux demandeurs d'asile des cours de français et des activités culturelles qui favorisent l'apprentissage de notre langue et l'intégration dans notre société. Aidés par France Bénévolat, ils ont finalement décidé de créer une chorale pour apprendre le français autrement.

Le démarrage du projet a été assez laborieux et l'aide de France Bénévolat a été précieuse pour peaufiner l'idée. Il a fallu trouver comment recruter et rémunérer un chef de chœur, lancer une cagnotte, créer une association puis ouvrir l'atelier et convaincre des demandeurs d'asile. « Ce n'est pas facile de chanter dans une langue étrangère, remarque Albane. Il faut créer de la confiance. »

Mines Paris Tech a mis à leur disposition une salle et un piano, ce qui a un peu compliqué les déplacements car l'école est dans le 6ème arrondissement de Paris et FLA dans le 10ème. Cela a néanmoins permis aux demandeurs d'asile de visiter cet établissement prestigieux. Pendant tout ce temps, il a aussi fallu gérer les absences des quatre protagonistes partis ici ou là effectuer des stages.

Finalement, un noyau dur d'une vingtaine de chanteurs se constitue. Ce sont principalement de jeunes Afghans. On apprend des chansons françaises mais on chante aussi en dari (persan afghan), en pachto et même en kenyan. L'année scolaire et le projet se finissent en beauté : la chorale de FLA se produit avec succès aux Voix sur Berges, un festival qui accueille chaque année 200 chorales, 5 000 chanteurs et 40 000 spectateurs sur le canal Saint-Martin, dans le 10ème arrondissement de Paris.

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Après une interruption, la chorale reprend

Scolairement parlant, la mission est remplie, mais la chorale marche bien, les quatre protagonistes y prennent beaucoup de plaisir et décident de continuer. C'est cependant l'année de césure entre la deuxième et la troisième année et trois des quatre membres de l'équipe vont effectuer des stages à l'étranger, dont Albane qui part en Allemagne, en Grande-Bretagne puis en Inde. Le seul à rester à Paris ne réussit pas à maintenir l'atelier. Les trois autres reviennent au bercail en octobre 2018 pour leur dernière année d'école. Ils relancent la chorale mais en ont assez de galérer avec la rémunération du chef de chœur. Albane, qui était dans une section musicale au collège, se lance. « J'avais beaucoup d'appréhension mais cela a permis de simplifier les choses. C'est gratuit et plus facile à organiser. C'est plus artisanal qu'avec un professionnel mais tout le monde passe du bon temps et c'est l'essentiel ! » La chorale se produit à la fête du Nouvel An puis, en juin 2019, à la fête de fin d'année de Français Langue d'Accueil.

L'école est finie et nos jeunes diplômés cherchent leur premier job. En septembre 2019, Albane démarre un emploi d'analyste de données dans une coopérative qui fournit de l'électricité d'origine renouvelable à des entreprises et à des particuliers après en avoir achetée à des producteurs indépendants, collectivités, PME ou collectifs citoyens. FLA lui demande de revenir pour préparer un concert pour la fête du Nouvel An. Albane accepte et y consacre une soirée, tous les 15 jours. « Cela me plaît de continuer », conclut-elle.

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Une leçon d'humilité

Ce qui a déclenché son envie de bénévolat, « c'est un désir d'aider et de ne pas rester cloisonnée dans un milieu privilégié en fermant les yeux sur la misère alentour. L'Acte d'entreprendre en a été l'occasion, après la prépa pendant laquelle nous avions le nez dans le guidon. Ensuite, cette envie de m’investir n’a fait que croître. Plus je m’impliquais dans ce monde parallèle au mien, si confortable, trop confortable, plus je me rendais compte de la réalité des choses et plus j'avais envie de m’engager. Les ateliers de chanson ont été des moments de partage très riches, on apprend tant de l’autre. Nous avons beaucoup ri et parfois pleuré quand un ou une participante se confiait. Un jour, un jeune Afghan qui fréquentait un atelier de FLA auquel je participais a été arrêté et emprisonné dans un centre de rétention administrative. J'étais bouleversée. La jeune femme qui était alors en service civique chez FLA et moi lui avons rendu visite, trouvé de l'argent pour rémunérer une avocate grâce à laquelle il a pu sortir au bout de trente jours. C’était la première fois que j'étais confrontée à de tels problèmes sociaux et politiques, cela a été le début d'une prise de conscience. J'ai rencontré des hommes et des femmes, découvert les histoires de leurs rudes parcours et les brutalités dont ils et elles sont victimes dans leurs pays d’origine, tout au long de leurs traversées mais aussi chez nous. Quand on voit que malgré tout, ils et elles relèvent la tête et continuent d'avancer, c'est une sacrée leçon d’humilité. ».

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Réactions et commentaires

Dominique

La lecture du portrait d’Albane m’a rajeuni. Au travers d’une première expérience bénévole, elle fait une analyse politique, au sens noble du terme, et détermine des choix de vie. C’est la naissance d’une militante.

Amandine Joly – Easis Consulting, Pilotage opérationnel du programme d’AG2R LA MONDIALE S’engager pour Bien Vieillir

Souvent, on a tendance à dénigrer l’importance de certaines actions, à les trouver inadaptées par rapport à un contexte. À première vue, cela pourrait être le cas si on lit, de manière détachée, le témoignage d’engagement d’Albane, élève de MINES Paris Tech. Faire chanter des demandeurs d’asile dans une chorale ? Voilà qui, pour certains, serait la démonstration de communication d’une école souhaitant promouvoir sa philanthropie, sans se soucier des besoins réels des concernés. Après tout, celui qui a eu un parcours de vie difficile peut-il éprouver le besoin de chanter dans une chorale ? 

Beaucoup clameront un franc « oui », sachant à quel point ce type d’action révolutionne les regards. Ce témoignage en fait la démonstration. 

Du côté d’Albane, c’est le monde, dans sa plus sévère cruauté et humanité, qui s’est révélé en partie à elle. Comme un voyage initiatique, cet engagement en tant que cheffe de chœur, lui a ouvert des vocations et des aspirations, l’amenant à regarder au-delà des frontières de son milieu social. 

De leur côté, les choristes ont pu satisfaire le premier objectif de l’initiative : apprendre la langue française d’une autre manière. Mais, en plus de cela, ils ont pu éprouver l’allégresse de faire partie d’un groupe, d’œuvrer pour un but commun, sur ce terrain profondément unificateur qu’est l’art. Quoi de plus formidable, qu’une démonstration du pouvoir de l’engagement sur les scènes de « Voix sur Berges » ?

À travers l’expérience et les mots d’Albane, on comprend que le chemin de l’engagement peut être complexe, haché, mais qu’avec une certaine volonté il n’existe pas d’obstacle à sa continuité dans le temps. Elle démontre qu’il y a tant à percevoir de l’engagement, à la fois à travers la satisfaction des objectifs poursuivis initialement, mais aussi à travers la découverte de finalités qu’on ne soupçonnait pas. Pour chaque engagement, c’est une variété d’inconnues qui se dévoilent, faisant partie de celles qui changent les manières d’agir sur le monde. 

Devoir civique ou voyage initiatique, finalement l’engagement c’est peut-être tout cela à la fois.

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